Il ne parvenait pas à oublier.
Il se souvenait de la chaleur des lèvres contre les siennes et du corps enroulé autour du sien. Il se souvenait du bruit des peaux qui se rencontraient, et de la voix qui haletait son nom. Il se souvenait de l’odeur des cheveux huilés et de la sueur libérée par l’acte impie. Il se souvenait de ce regard brun qui cherchait à se raccrocher au sien, comme un naufragé cherche un bout de bois flottant.
Il se souvenait de la chaleur des lèvres contre les siennes et du corps enroulé autour du sien. Il se souvenait du bruit des peaux qui se rencontraient, et de la voix qui haletait son nom. Il se souvenait de l’odeur des cheveux huilés et de la sueur libérée par l’acte impie. Il se souvenait de ce regard brun qui cherchait à se raccrocher au sien, comme un naufragé cherche un bout de bois flottant.
Cette nuit-là, il avait vécu une fois de plus ces sensations dans un rêve d’une précision trompeuse, et au matin, son corps se le rappelait encore. Eiranos l’avait regardé comme un traître, un provocateur. Car on ne peut jouir d’un bonheur révolu.
Eiranos avait cherché à se distraire. Il avait rangé ses affaires et plié sa couverture avec un soin risible. Pendant quelques minutes, il avait cherché à s’intéresser à la dispute qui semblait avoir éclaté entre le chef de la caravane et un de ses hommes. Ce n’était pas la première fois que ça arrivait : les marchands avec lesquels il voyageait étaient du genre irascibles. Ils s’étaient déjà pris le bec deux ou trois fois depuis leur départ de Cairne, quatre jours plus tôt ; le moine avait vite appris à laisser couler. Mais ce matin-là, tout évènement aussi minime soit-il, était une occasion de se changer les idées.
Cette fois, cependant, il ne s’agissait pas simplement de quelques palmes qui avaient sauté dans la mauvaise bourse. Quand le chef avait remarqué qu’Eiranos tendait l’oreille, il avait appelé ses deux contremaîtres et les trois hommes s’étaient retirés derrière un charriot et avaient baissé la voix. Le moine ne saisissait plus que de rares éclats de voix involontaires et indistincts. Dépité, il se décida à célébrer l’office du matin, une version raccourcie et sans sermon comme on la pratiquait sur les routes.
Quand il eut fini, il remarqua que le conciliabule des trois hommes était terminé. Ils se tenaient à présent devant la charrette derrière laquelle ils s’étaient cachés et semblaient attendre avec impatience que le moine eut fini tout son cérémonial.
- Allez, on se bouge ! aboya le gros marchand.
Eiranos se dirigea en claudiquant vers le chariot dans lequel il voyageait depuis qu’il s’était tordu une cheville dans un nid-de-poule, deux jours plus tôt. Un certain Bardan, un garçon originaire d’Irsh’Allai au vu de son accent, s’avança pour l’aider à monter. Eiranos s’appuya sur son épaule, essaya de se soulever mais sa cheville blessée céda sous lui et il tomba contre Bardan. Il put alors sentir, au-delà de l’odeur des bœufs qui imprégnait les vêtements du jeune bouvier, un parfum qu’il connaissait bien.
Tout le monde, dans les montagnes, utilisait cette huile,
mais sur personne d’autre elle ne sentait aussi bon.
mais sur personne d’autre elle ne sentait aussi bon.
Il se redressa immédiatement, comme frappé physiquement par les souvenirs qui lui revenaient. Lançant à Bardan un regard fâché que le garçon ne comprit pas, il se hissa dans le chariot et se laissa tomber entre deux ballots de marchandises. Il voulait justement éviter de penser à ça, à cette époque de sa vie désormais révolue…
Il était tellement énervé contre lui-même qu’il mit un moment à remarquer que cette fois, il n’était pas seul dans le chariot. En face de lui était assis un jeune homme sans doute un peu plus jeune que lui, plus maigre encore, qu’il n’avait jamais vu dans la caravane. Il lui fallut encore un instant de plus pour réaliser que son compagnon de voyage était ligoté comme un gigot. Mais d’où sortait-il ?!