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    Anonymous
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    Invité
    Dim 20 Nov - 10:45

    "Vous avez de la chance que le ministre veuille bien se déplacer."
    Les mots du garde flottaient seuls dans l'air humide d'automne, échouant à briser le silence du vieillard malgré le ton compatissant.

    Il était encore tôt ce matin, et seuls le garde et l'artisan patientaient au bord du pont joignant les deux rives. Livaro avait froid et respirait au travers de l'épais tissu de son écharpe, il tenait d'une main le coffret contenant ses outils et gardait l'autre bien enfouie dans sa lourde veste.
    Le garde, lui, avait les bras dénudés et semblait apprécier le doux climat Naidien. Le vieil homme frisonna tout en pensant que cette histoire aurait déjà dû être finie en été.

    3 mois ! Déjà 3 mois que la situation était bloquée !
    Après avoir été contacté pour remplacer les vitraux du palais de Talehe, le maître avait rapidement compris que ce travail lui permettrait de s'exprimer comme il ne l'avait fait depuis longtemps. Même si le contrat spécifiait des coûts minimes et inistait sur l'efficacité - cétait sûrement pour cela qu'on avait fait appel à lui - l'emplacement du bâtiment offrait des jeux de lumière naturels avec les rues et la grande place. Un défi technique et artistique que Livaro ne souhaitait pas laisser passer.
    Les travaux auraient dû commencer 3 mois plus tôt... si seulement le quartier n'avait pas été réquisitionné et bouclé à double tour par l'aristocratie venant de Taytambo.

    Le maître Sigerre n'y comprenait pas grand chose (on lui avait dit que le "dossier" était passé par plusieurs mains, chacun se renvoyant les responsabilités entre l'accord, les financements ou les laisser-passers), mais il savait être tenace.
    Le ton était monté plusieurs fois, Livaro perdant son calme et son temps en aller-retours le long de la grande rue transversale. Alors si, aujourd'hui, un ministre venait à sa rencontre, il comptait bien régler cette histoire une bonne fois pour toute.

    Le maître verrier crut au début à un nouveau délais, voyant un jeune homme s'avancer vers lui - à un tel âge, on ne pouvait qu'être assistant ! Mais les traits du ministre le rendaient reconnaissable parmi tous les autres... et s'il y avait un politicien dont les gens parlaient en ce moment, c'était bien du jeune loup au dents longues aux origines Qiang.
    Mais qu'importait qui il était en fait, Sigerre avait son travail et les politiciens avaient le leur. Le vieil homme comptait juste que chacun fasse le sien, et surtout que chacun le fasse bien.

    Ne souhaitant pas perdre plus de temps, il décida de prendre l'initiative. Dégageant rapidement son écharpe pour parler clairement, il remit sans attendre sa main au chaud après un nouveau léger frisson.

    - Puis-je donc enfin commencer à faire mon travail ? commença-t-il d'un ton neutre et quelque peu distant.

    Son âge, ainsi que son attente, pouvaient peut-être excuser son absence de salutations et Livaro n'était de toute façon pas venu pour faire la causette avec un inconnu. Mais l'expérience le rattrapa bien vite.

    - ... monsieur le Ministre, ajouta-t-il en s'inclinant subtilement, son humeur pliant devant son respect des règles.


    Adelmiro Ybaria
    Adelmiro Ybaria
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    Ven 25 Nov - 13:28

    Rencontre avec un souvenir
    Tandis qu’Adelmiro resserrait sa veste large autour de ses épaules, Tibur referma la porte derrière eux. Le petit matin était frais, mais rien de bien étonnant vu la saison. Il se réchaufferait en marchant. Il avait pris goût à ce moyen de locomotion, si bien que depuis la réparation de son carrosse, celui-ci était resté à l’arrêt.

    Il avait rarement vu les rues aussi silencieuses. Parfois, il croisait une jeune servante qui se dépêchait de réparer un oubli ou un imprévu avant le lever de ses patrons, rien de plus. Pas de regards ni de politesses à échanger, il pouvait profiter librement du calme et de la lumière de l’aube. Quelques pas derrière lui, comme l’imposait son rôle, Tibur respectait ce silence. Sa présence imposante semblait même repousser le bruit et créer une bulle autour de son employeur.

    Ainsi préservé du monde extérieur, l’esprit d’Adelmiro s’agitait. Livaro Sigerre… Un nom qu’il n’avait pas croisé depuis près de vingt ans. Le voir réapparaître devant lui, complètement par hasard, à ce moment précis avait été comme un message divin. Depuis son entrevue ratée avec Finalya N’raëm, il n’avait pas avancé. Au début, il avait cherché une porte d’entrée pour la rive droite, puis ses échecs l’avaient découragé et son voyage au Quenda lui avait donné envie de s’éloigner de toute cela. Cette affaire venait le secouer au bon moment.

    Arrivé au pont, il ralentit encore son pas déjà nonchalant, pour prendre le temps d’observer le maître verrier. Il fut presque déçu de ne voir qu’un vieillard courbé, au regard fatigué, qui se recroquevillait dans la chaleur de sa veste épaisse. Une échapper de laine cachait sa bouche, comme pour endiguer les mots qui risquaient de s’en échapper.

    Heureusement, la spontanéité de sa question, presque sa brusquerie, vint contredire cette apparente mollesse. L’âge avait marqué son corps mais pas son esprit. Adelmiro s’en consola.
    Cependant, aussi rassurante qu’elle puisse être en un sens, l’absence de salutation le heurta. Il était venu rencontrer un homme au parler franc, pas impoli. Pendant un instant, il regretta presque d’être venu. Il ne faisait jamais bon de confronter ses souvenirs ou fantasmes d’enfance à la réalité.

    Un bref rictus passa sur son visage quand il réalisa la stupidité de ses pensées. Livaro Sigerre était ici en tant qu’homme de chair et d’os, un citoyen naidien qui ne pouvait traverser le fleuve sans laissez-passer. Il ne pouvait pas rester éternellement un symbole.

    - Maître Livarro, le salua Adelmiro d’un hochement de tête. Malheureusement, il y a eu une petite confusion : je ne suis pas là pour vous autoriser le passage. Du moins pas immédiatement. Vous comprendrez, je l’espère, que je ne peux délivrer de laissez-passer à toute personne qui en fait la demande sans me renseigner un peu sur elle.

    Son ton était ferme mais il l’adoucit d’un sourire compatissant.

    - Votre motif est bien sûr tout à fait légitime, s’empressa-t-il de préciser. C’est pour cela que je suis venu moi-même mener l’enquête de moralité obligatoire, afin de m’assurer que les formalités ne traînent pas. Mais peut-être devrions-nous retourner chez vous ou à votre atelier, pour pouvoir parler au chaud ?
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    Anonymous
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    Dim 27 Nov - 13:08

    Le léger rictus le surprit agréablement : en montrant ses émotions, de représentation abstraite du pouvoir, le jeune politicien se transformait en une personne réelle aux yeux de Livaro. En conséquence, le vieil homme se détendit quelque peu et répondit au hochement de tête du ministre.

    Toutefois, la suite... le déstabilisa quelque peu. L'annonce de la venue d'un ministre avait fait monter en lui l'espoir d'une résolution à cette affaire, et Livaro ferma un instant les yeux de déception. Il en était toujours finalement au même point : qu'essayait-il déjà de faire depuis des mois si ce n'était prouver sa bonne foi ?
    Il entendit plus qu'il ne vit le sourire d'Adelmiro, et les précisions semblaient être énoncées de bon coeur et en toute honnêtement. L'artisan soupira calmement, comme pour expulser ses attentes infondées et pour recommencer sur de meilleures bases. Il n'avait de toute façon pas le choix.

    - Je vous... remercie pour votre intêret quant à ma demande, monsieur le ministre, commença le vieil homme, hésitant quelque peu sur les formules. Allons donc là où je vis et travaille... même si je ne qualifierai cet endroit ni de "chez moi" et encore moins "d'atelier", ponctua-t-il dans un gromellement, son naturel refaisant surface bien plus vite qu'il ne le souhaitait.

    Livaro ne souffrait que rarement la compagnie dans son espace de travail, mais il avait conclut - un peu rapidement - que la demande d'Adelmiro rentrait dans le cadre de son enquête...  peut-être pour faire fouiller sa chambre par le garde du corps stoïc qui l'accompagnait ? Des bruits de la rive gauche, on n'entendait parler que de traîtres et d'indépendantistes cachés ces temps-ci. L'aristocratie virait à la paranoïa, selon Livaro.

    La petite troupe se mit donc en marche, un petit veillard, un jeune noble et un costaud silencieux.
    La rive droite elle aussi s'éveillait doucement. Au petit matin, les deux parties de la cité se ressemblaient plus que les gens ne se l'avouaient... architecturalement du moins. La ville avait été pensée comme unie, et Talehe n'avait jamais eu la faveur des classes dirigeantes contrairement à la belle et cultivée Taytambo.
    Le grand contraste, le seul peut-être, était le désordre et la saleté. La rive droite n'arrivait pas à gérer sa surpopulation, faute d'infrastructures adaptées.

    - Je ne sais pas exactement ce que vous entendez par moralité mais je peux vous assurer que j'ai toujours été un citoyen honorable commença Livaro, avant de se rendre compte qu'il sonnait comme un accusé voulant se justifier.
    Il avait en tête de faire la conversation pour faire avancer cette "enquête", mais c'était sans compter son manque de diplomatie.
    - Ce que je veux dire, c'est que je ne vois pas vraiment ce qu'il peut y avoir à apprendre sur moi. J'ai toujours été un Talehien ordinaire faisant simplement son travail. Toute cette agitation et tous ces problèmes... à partir d'une simple annonce de la Reine... ce n'est qu'une perte de temps !


    Adelmiro Ybaria
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    Sam 3 Déc - 18:05

    Premiers pas vers l’inconnu
    Après cette entrée en matière un peu violente et malgré toute la diplomatie qu’il avait mise dans sa réponse, Adelmiro appréhendait la réponse de maître Sigerre. Il craignait que ce dernier, mû par la fierté ou l’impatience, exige une réponse immédiate, et il n’en pas pu l’en blâmer. Lui-même n’aurait pas apprécié d’être retardé dans son travail parce que des incompétents se refilent le bébé. Même si le civil n’avait aucune raison de savoir à quel point son affaire avait tourné en rond.

    Aussi fut-il heureusement surpris quand il entendit le vieil homme soupirer puis répondre calmement. Celui-ci n’avait visiblement pas aimé ce qu’il avait entendu mais il faisait de son mieux pour cacher son irritation derrière la politesse, à moins que se trouver en face d’un ministre ne l’impressionne à ce point. Quoi qu’il en soit, il se retourna et se mit en marche. Adelmiro le rattrapa en quelques enjambées, pour marcher à ses côtés, et Tibur leur emboîta le pas.

    Le ministre savoura l’instant où il posa le pied sur le pavé de la rive droite. Ce n’était jamais qu’un pas de plus mais il avait la sensation qu’en le faisant, il mettait entre la reine Lilz et lui non pas un simple fleuve mais un immense fossé, celui-là même contre lequel il mettait en garde la souveraine quelques jours plus tôt. Il frayait avec le petit peuple, les ennemis de la nation !

    Enfin, frayer… C’était encore un grand mot. En réalité, il était là en tant que membre du gouvernement venu enquêter sur un citoyen, rien qui lui permette de s’intégrer dans ce quartier. Mais il préférait voir sa présence dans ces rues comme le début d’une histoire qui le lierait à ces gens. Après tout, il se promenait là en présence de Livaro Sigerre, ce devait bien compter, non ?

    Il se redressait, tout fier de sa compagnie, quand le maître verrier reprit la parole. Après l’impatience et une politesse un peu forcée, il laissait transparaître une certaine inquiétude. Le ministre n’y prêta pas attention : si Sigerre avait quelque chose à cacher au gouvernement, son secret serait en sécurité avec Adelmiro.

    Son dernier commentaire, par contre, le surprit tellement qu’il pensa d’abord l’avoir mal interprété. Quand il parlait de perte de temps, il devait parler de l’annonce de la reine, pas vrai ? Que ce n’était qu’une tentative désespérée mais inutile de rester dans le giron de l’Empire, alors qu’en réalité le pays s’en était déjà détaché depuis longtemps ? Ce devait être ça. Ce ne pouvait être que ça. L’autre interprétation serait une trop grande déception.

    Il aurait aimé croire que son vieux héros combattrait l’Empire en ces heures troublées avec la même conviction et la même force que celles qu’il avait mises dans sa lettre près de vingt ans plus tôt. C’était oublier que, depuis ce temps, bien des marées avaient englouti puis abandonné les plages du pays. Sigerre pouvait avoir des milliers de raisons de changer de perspective.

    - Une perte de temps, répéta-t-il, décidé à le tester. Toute cette agitation pour une issue que l’on connaît déjà…

    Il jeta un regard en coin au petit homme qui avançait lentement à ses côtés. Le reste de ses souvenirs d’enfance allaient-ils s’écrouler ?
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    Ven 9 Déc - 15:20

    - Evidemment ! Des révoltes et du sang, mais aucune idée ! Des idiots ne désirant qu'un prétexte pour pouvoir répandre leur bétise. Le ton de Livaro était affirmatif et agacé. Le peuple Naidien est un peuple de batisseur, élevant son art pour la gloire de Dieu. Détruire et piller, vraiment, ces indépendantistes ne valent pas mieux que les fantassins bercées à la propagande d'Ivria. Ce saccage de Taytambo... c'est un véritable gâchis !

    Le vieux maître laissait son humeur parler plus que sa raison, ne proposant qu'une analyse grossière et tranchée de la situation. Comment savoir si une telle opinion était partagée au sein du petit peuple de la rive droite ou si Livarro ne trouvait lui-même pas un prétexte pour expulser sa propre colère quant à son impossibilité de travailler, totalement étrangère au sujet.

    - S'attaquer à la Reine , au symbole qui nous unit...sous prétexte de combattre la domination Ivrianne... on aura vraiment tout entendu. Sciemment ou non, Livaro avait omis l'aristocratie et les inégalités dans son argumentation. Si ces délinquants demandaient l'avis du peuple avant d'agir en son nom, ils verraient bien que ce que nous désirons avant tout c'est la paix.
    Au moment où Noren commençait à l'appercevoir enfin...


    Sigerre finit sur un soupir déçu et sincère. Si les excessives généralités précédentes pouvaient passer pour l'agacement d'un vieillard bloqué au pied d'un pont, l'idée de la paix à peine trouvée et déjà perdue avait rendu Livarro un peu plus grave.
    Les discussions et rumeurs récentes sur l'arrivée d'une colonne de soldats de l'Empire n'arrangeaient rien. Le futur de Tahele était plein d'incertitudes.


    Adelmiro Ybaria
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    Ven 16 Déc - 23:07

    Et si j'appuie ici, ça fait quoi ?
    La réponse de Livaro rassura Adelmiro, en un sens. De la lassitude. Voilà ce qu’il sentait chez le vieil homme. Et ça, il pouvait le comprendre. Mais il ne put s’empêcher de continuer de discutailler.

    - La paix… à tout prix ? osa-t-il. Même une paix imposée par la force écrasante d’une nation étrangère ?

    Il savait bien que cet argument était fallacieux. Les Ivrians n’avaient jamais eu besoin de faire usage de la force pour imposer la paix. Ils prélevaient des impôts et, durant un temps, des troupes, ils ne s’intéressaient pas à ce qui se passait à l’intérieur du royaume. L’absence de réaction de l’Empire (ou son retard, mais plus le temps passait moins Adelmiro croyait que la colonne venait pour eux) en était la confirmation. Omette cela aurait pu marcher pour motiver encore plus des insurgés déjà remontés contre l’empire, mais ç’eut été insulter l’intelligence de Sigerre.

    - Certes, les soldats de l’Empire n’ont plus pénétré sur nos terres depuis qu’ils ont fait plier le roi Desidrio, concéda-t-il, mais ils n’en ont pas besoin. La peur qu’ils font régner, malgré la distance, est tout aussi efficace.

    Il s’interrompit pour réfléchir. Il aurait pu continuer dans cette voie, mais serait-elle efficace sur le maître verrier ? Rien de moins sûr. Il n’était pas du genre à s’effrayer aussi facilement. Il modifia légèrement sa trajectoire.

    - La peur paralyse, tenta-t-il. Elle bride l’imagination et l’audace. Tout comme la sensation de ne pas s’appartenir. Peut-être est-ce cela que les révoltés de la capitale tentent d’exprimer, à travers ces destructions. Ce qui a été créé alors que nous n’étions pas vraiment libres ne représente pas ce que nous sommes réellement.

    Il s’arrêta au milieu de la rue et écarta les bras, montrant les deux rangs de façades qui s’alignaient à leur gauche et à leur droite.

    - Ceci, ce n’est pas vraiment naidien, affirma-t-il. Ou par petites touches, seulement. Des protrusions qui jaillissent, brillamment mais brièvement, dans les interstices que leur ont involontairement laissé les architectes ivrians. N’avez-vous jamais eu envie de les écrouler et d’en construire des nouvelles, d’autres qui glorifieraient véritablement Dieu et non l’Empereur ou l’ordre qu’il représente ?
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    Ven 23 Déc - 3:48

    Après avoir évacué sa colère dans un flot de paroles, Livaro pensait en avoir fini pour un moment. Il n'aurait pas cru que le ministre puisse s'intéresser autant à ses paroles.

    Le jeune politicien amenait habilement la conversation sur son terrain. Feignant une première approche peu crédible et la déjouant lui-même dans la foulée, comme pour réhausser par comparaison son véritable argumentaire...
    Le vieux maître était en effet resté dubitatif quant à la peur supposée de l'empire d'Ivria, ne sachant trop où Adelmiro voulait en venir, mais la suite fit mouche.

    Les yeux du vieux maître s'éclairèrent de nouveau, et il goûta pleinement la prestation du ministre de la Paix Civile.
    Il y avait du vrai dans la bouche de cet Adelmiro, et plus encore, une passion certaine. L'ardeur d'un homme défendant ce en quoi il croyait.

    - Non, jamais, répondit calmement Livaro dans un sourire. L'absence totale d'agressivité dans sa voix aurait presque fait passer cela pour un oui. Vous venez de Taytambo n'est-ce pas ? Vous êtes jeune, qui plus est. Nous voyons peut-être les mêmes rues, mais je n'en tire pas les mêmes conclusions.

    Sigerre prit le temps de regarder les façades que le sire Ybaria prenait en exemple. Il sentit son coeur se gonfler, il n'avait que de l'amour pour ces bâtiments-là. Cela faisait un bon moment maintenant qu'il n'avait pas regardé sa ville avec ces yeux-là, mais cette bouffée de nostalgie et d'orgueuil il la devait au ministre.

    - Ces façades, que vous les appeliez Ivriannes ou Naidiennes, ce sont celles de la ville où j'ai grandi. Je n'y vois pas l'empereur, j'y vois mon enfance. C'est chez moi, et il ne me viendrait pas à l'idée d'en détruire la moindre partie. Livaro ne marqua qu'une brève pause, très bien conscient que le ministre avait envisagé la "destruction" comme une simple étape nécessaire dans "l'amélioration". Tahele a une histoire, elle fait partie du continent. Encore plus que Taytambo, l'influence de l'Empire s'y fait sentir. Et à vrai dire, c'est tant mieux car où était l'aristocratie Naidienne quand la ville se développait petit à petit ? Tout à son honneur de ne pas être un "pion" d'Ivria, elle est restée à la capitale. Ces rues... c'est l'argent, les architectes d'Ivria qui les ont montés. Et je préfère de loin ces rues à pas de rues du tout !

    Livaro finit en une exclamation bon enfant. Il ne comptait bien entendu pas convaincre qui que ce soit avec une exagération aussi grossière. Personne ne demandait de choisir entre des rues ou l'absence de rues.
    Dans la perception de celles-ci, là résidait l'important.

    - Rejeter tout ce qu'est devenu le royaume Naidi depuis la domination de l'Empire, c'est rejeter plus de 5 siècles d'histoire commune pour fantasmer sur un passé révolu, dont personne ne se souvient.
    Pourquoi tant opposer notre royaume et l'empire ? L'Empereur est un fervent fidèle, et c'est en écoutant Dieu et un oracle qu'il a parait-il déclaré la paix. De tous les peuples de Noren, nous devrions donc rejeter l'influence du seul qui partage notre religion ?


    La question était ouverte et reflétait la curiosité du vieil homme. Les jeunes générations avait un sort bien plus enviable que celui qu'il avait connu à leur âge, forcé dans les rangs de l'armée ivrianne. Pourquoi alors un tel rejet ? La fougue de la jeunesse actuelle s'exprimait de manière bien pessimiste selon lui.


    Adelmiro Ybaria
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    Sam 7 Jan - 14:20

    Respirer et se calmer
    Adelmiro ne savait pas trop ce qu’il cherchait, avec de telles provocations. Ou du moins, il ne le savait pas au début. Il le sut quand vint la réponse de Sigerre. Calme, souriante, pleine d’une nostalgie à laquelle Adelmiro ne s’attendait pas. Il aurait voulu de l’indignation. Qui aille dans son sens ou qui s’y oppose, qu’importe : l’important était la ferveur.

    Il se dit d’abord qu’une telle attente venait de son dégoût pour la mollesse. Puis il se rendit compte que Sigerre n’était pas mou, loin de là. Le vieil homme traînait un peu la patte mais son pas était rapide et sa voix traduisait toute la vitalité de son esprit. Non, ce qu’il détestait, c’était que d’autres réussissent à rester calme face à ce qui déchaînait sa passion ; de sentir qu’il s’enflammait pour quelque chose qui n’en valait pas forcément la peine.

    Il serra les lèvres, retenant la réplique blessée et cinglante qui montait dans sa gorge, si forte qu’il pouvait presque la sentir physiquement. Ce n’était pas tant de la colère envers Sigerre que contre lui-même. Le festival, au Quenda, était censé l’avoir apaisé. Son effet n’aura pas duré longtemps. Il ravala la boule qui l’étouffait et tenta de se concentrer sur les paroles de Sigerre. Oublier ses sentiments, ne penser qu’aux faits. Rien qu’aux faits.

    Ce que soutint le maître verrier était logique, en un sens. Mais il ne pouvait pas l’accepter. La logique, les faits, ne suffiraient jamais tout à fait. Après un court regard par-dessus son épaule en direction de Tibur, qui s’était arrêté à quelques mètres de lui et ne le quittait des yeux que pour regarder avec méfiance les alentours, il se remit en marche, lentement, comme pour réactiver ses pensées.

    - Certes, notre religion est la même, approuva-t-il lentement, réfléchissant en même temps. Et je ne peux nier qu’ils nous ont vaincus. Mais cela signifie-t-il que nous devons tout leur céder ? La reine devrait-elle abdiquer, pour que nous jurions directement allégeance à Aeron ?

    Ce n’était pas une vraie question : il était lancé, il ne voulait pas s’interrompre. Même si, d’un côté, il aurait aimé entendre la réponse.

    - La mentalité de l’Empire me déplaît, continua-t-il. Peut-être devrions-nous céder sur certains points, nous aligner sur leurs propres façons de faire pour mieux collaborer. Mais je fréquente les couloirs du palais depuis mon enfance, j’ai eu l’occasion de voir comment l’Empire s’ingère dans notre pays : croyez-moi, ils ne cherchent pas seulement à nous « influencer » mais réellement à nous étouffer. Et plus on nous force, plus on résiste, n’est-ce pas une réaction naturelle ?

    Il s’interrompit, pensant laisser à Livarro le temps de répondre, mais une idée le frappa soudain.

    - Nous devrions nous laisser influencer, accepter notre histoire commune mais pas envoyer nos jeunes se battre pour cet Empire ? remarqua-t-il. Où situez-vous la limite ?
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    Anonymous
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    Jeu 12 Jan - 17:02

    Le jeune ministre posa lentement les premiers mots de sa réponse, avant de se laisser emporter par ses propres paroles. De la destruction on passait à l'influence, trouvant un autre cheval de bataille pour cavaler dans cette guerre d'arguments.
    Livarro n'était pas dûpe, et il avait d'ailleurs été le premier à rebondir trop rapidement aux interrogations du politicien. Mais finalement, était-il vraiment dans son intérêt de débattre et de s'opposer à cet Ybaria ?
    Tout en pondérant ses options, il suivait le mouvement, ponctuant d'une petite exclamation incrédule l'idée d'abdiction de la reine. Tout simplement inconcevable, la perspective la plus probable aurait été à la place celle d'un mariage entre les lignées de l'Empire et du Royaume... et cela n'avait pas été fait en 500 ans, alors pourquoi le serait-il maintenant ?

    La discussion tournait politique, et malgré toute la vérité des paroles d'Adelmiro, le vieil artisan sentait bien que l'on s'éloignait de son terrain. Les bruits de couloir, le palais, et finalement même les grandes familles dont son interlocuteur faisait partie, ses beaux habits rehaussant le part de charme exotique Quiang de sa personne... Ce n'était tout simplement pas son monde à lui. Cette influence de l'Empire là, subtile ingérence, l'homme du commun qu'il était ne la sentait pas.
    Le ministre dévoilait-il ainsi ses sentiments en espérant convaincre Livarro à ses idées ? A sa... "cause" ? Le vieux maître n'était personne, quel intérêt pouvait avoir son interlocuteur à un tel jeu ?
    Sigerre, se sentant obligé de répondre, reprit alors sur un ton plus mesuré. Soupçonneux sur les intentions du ministre qu'il n'arrivait pas à percer, il préféra jouer la prudence.

    - Bien sûr, il est évident que notre jeunesse a bien mieux à faire que d'aller guerroyer, contrainte et forcée, pour le compte de l'Empire, commença-t-il en réussissant à réprimer le "comme tenter de lancer une guerre civile par exemple" qui lui brulait la gorge. Je maudis Ivria pour chaque jour que j'ai passé sur le front Qiang, et je maudis également nos lois de l'époque pour l'avoir permis. Mais cette politique est finie dorénavant, cela appartient au passé.
    Ivria est loin d'être la perfection qu'elle prétend être. Elle nous apporte à la fois problèmes et atouts, et ce sont les gens tels que vous, les ministres et la Reine, qui êtes là pour fixer les bonnes limites pour notre royaume. Globalement, cela a plutôt bien fonctionné jusque là, non ?


    Livarro transférait le problème sur les bras d'Adelmiro, le mettant face à ses responsabilités de membre du gouvernement.
    L'avis du peuple comptait-il réellement tant que cela, alors que seuls les membres des grandes familles Naidiennes se partageaient le pouvoir ? Si le ministre cherchait une caution morale pour ses propres positions, le vieil homme ne la lui donnerait pas.

    Nous sommes en effet un peuple fier et prompt à la résistance face à l'oppression. Or aujourd'hui, ce qui me révolte est la violence avec laquelle "nous" nous déchirons. Et si quelque influence néfaste m'étouffe actuellement, c'est celle de l'aristocratie de notre propre peuple qui a confisqué la rive gauche de ma ville.

    Le maître artisan grommela son mécontentement. Plus il parlait, plus il avait l'impression de dire quelque chose qui pourrait être retenu contre lui. S'il acquiessait aux paroles d'Adelmiro, il pourrait être taxé d'indépendantiste ; et s'il le contredisait, il s'opposait au ministre chargé de lui délivrer un laisser-passer.
    Il était temps d'y voir un peu plus clair.

    Que cherchez-vous au final à savoir, monsieur le ministre ? lança Livarro, las de jouer mentalement aux devinettes quant aux intentions de son interlocuteur.


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    Dim 15 Jan - 22:53

    Fini de jouer ?
    Adelmiro se demanda un instant si la première phrase de maître Sigerre était sérieuse ou ironique, puis la seconde confirma la sincérité de ses mots. Il n’était simplement pas allé jusqu’au bout de sa pensée.

    Il n’avait pas exactement répondu à la question qui lui avait été posée mais cela ne dérangea pas Adelmiro. Qu’il n’ait pas de réponse toute faite à lui présenter confirmait l’aspect émotionnel de sa position. De toute façon, il n’aurait pas eu le temps d’insister : immédiatement, le verrier éloigna la conversation de lui-même pour y mêler la reine et le gouvernement. Le ministre resta muet quelques secondes, étonné par une telle attaque.

    Le temps qu’il retrouve tous ses esprits, Sigerre avait enchaîné. Après le gouvernement, toute l’aristocratie. Après avoir été simplement agacé par le contretemps, il semblait commencer à réellement s’énerver contre la situation. Difficile de l’en blâmer. Et finalement, cette colère s’exprima clairement. Fini de tourner autour du pot. Adelmiro sourit. D’un côté, il préférait que les choses soient dites clairement.

    Il soupira, resserra sa cape autour de lui et y cacha ses mains froides. Il jeta un regard tout autour de lui : avec l’arrivée du soleil et d’une relative chaleur, les Talehiens commençaient à sortir. Les échoppes ouvraient juste mais déjà les femmes se pressaient autour, pour être sûres de bénéficier de poisson frais et de beaux légumes. Tibur se rapprocha un peu de son maître et fronça encore plus ses sourcils broussailleux mais la foule ne permettait plus de préserver un cercle d’intimité autour des deux hommes.

    Adelmiro ne craignait rien tant que les oreilles qui traînent. Il apercevait, quelques mètres plus loin, une boutique qui devait être celle du maître verrier ; du moins, elle ressemblait à la description qu’on lui en avait fait. Il choisit de temporiser, le temps d'arriver dans un lieu plus sûr.

    - Il est plus intéressant de discuter avec vous qu’avec la plupart des ministres du gouvernement, répondit-il d’un ton exagérément léger.

    Une mère, portant son bébé sur le dos, l’effleura en passant. Elle fit à peine attention à lui, continuant à discuter avec son amie des prix du pain et de la laitue de mer. Elle n’avait visiblement pas le moindre intérêt pour la politique. Et même les curieux qui lui lançaient des regards suspicieux ou inquiets détournaient les yeux et faisaient de leur mieux pour l’ignorer. Il réalisa que sa crainte, peut-être justifié dans le panier de crabe qu’était le palais, n’était que de la paranoïa dans un tel environnement. Il ricana encore une fois de lui-même, se rapprocha très légèrement du vieil homme et répondit sérieusement, quoi que toujours à voix basse :

    - J’ai toujours cru gouverner en pensant avant tout au peuple naidien. J’en étais sincèrement persuadé, insista-t-il, comme voulant convaincre Sigerre. Je croyais le comprendre simplement parce que je pensais à lui – ce qui était déjà beaucoup mieux que la plupart de mes collègues mais loin d’être suffisant.

    « J’ai compris ma vanité après la révolte à Taytambo. Je n’ai pas contredit la reine principalement parce que j’étais sûr que sa déclaration avait été dictée par la diplomatie plus que par ses convictions personnelles, et j’ai cru que le peuple n’y prêterait pas plus d’attention que ça n’en méritait. J’ai été détrompé, et c’est là que j’ai réalisé qu’en réalité, je n’avais aucune idée de ce qui pouvait passer dans la tête des Naidiens.

    Ils étaient arrivés devant la boutique qu’il avait repéré. Il s’arrêta et se tourna face à son interlocuteur.

    - Je ne suis pas venu vous interroger, confia-t-il. En réalité, votre laissez-passer est déjà signé.

    Il sortit le précieux document et le tendit au maître verrier, le fixant plus sérieusement que jamais.

    - Mais c’était pour moi l’occasion d’entendre la voix de mon peuple. Voulez-vous me faire entendre la vôtre ?
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    Mer 1 Fév - 16:28

    Le sale caractère du vieil homme lui obscursissait l'esprit, jettant un masque de mauvaises intentions devant ses yeux et déformant les paroles d'Adelmiro.
    Sa conversation, plus intéressante que celle d'un ministre ? Cela en disait long sur la compétence de ce gouverment ! Livaro, impatient mais silencieux, attendait que son interlocuteur complète sa pensée.

    Alors il suffit d'une petite inclinaison, un ton de voix en dessous, et la conversation continua comme une confidence. Le sérieux du ministre toucha l'artisan, perçant la barrière des classes par la simplicité de ses déclarations et l'humilité de son ignorance.
    Ces paroles ne pouvaient que faire réfléchir, mettant l'artisan face à ses propres propos, déformés et aggressifs, jugeant un homme qu'il ne connaissait pas.

    Arrivés devant sa "boutique", batiment qui n'en avait que le nom et non la qualité aux yeux du maître, les trois hommes mirent cartes sur table.
    Livarro prit ainsi son précieux sésame d'une main tremblante et les lèvres pincées. La sympathie que lui inspirait les révélations du ministre le partageait à la blessure d'avoir été joué.
    Il détourna la tête pour ne plus croiser le regard inquisiteur du ministre et se dirigea vers la porte de l'immeuble.

    Quelques instants plus tard, une main sur la poignée, Livarro répondait enfin.
    - Nous serons plus à l'aise pour discuter à l'intérieur. Une invitation simple, avec encore un petit goût de défaite, furent les seuls mots que l'artisan arriva à prononcer.

    Une fois à l'intérieur, "l'aise" évoquée par Sigerre ne prit forme que par une température un peu plus élevée.
    L'appartement était une salle unique - surchagée d'outils et de travaux en cours - avec un sol uni où l'imagination seule découpait les parties atelier-cuisine-chambre, la dernière se résumant à un matelas étalé par terre. Le plafond était bas et les murs fins, et cela finissait d'expliquer la sensation de chaleur dans cet espace confiné.
    Livarro découvrit deux coussins qu'il dépoussiéra d'un revers de main et offrit à ses invités. Puis, assis sur son lit, il se mit à remuer les braises de la veille pour faire bouillir de l'eau tout en préparant du thé aromathisé.

    On entendait les bruits d'une famille à l'étage du dessus et la voix criarde d'une vieille dame traversant l'un des murs, pour se plaindre du dérangement. Livarro grogna de dépit, blessé dans sa fierté d'en être réduit à vivre si pauvrement.
    Mais son interlocuteur demandait du sérieux et le peuple Naidien était un sujet le méritant, alors le maître fit un effort.

    - Ma voix est loin d'être majoritaire parmi à Talehe, et j'imagine que cela serait encore pire si l'on était à Taytambo. Je suis un vieil artisan qui a passé l'âge de se révolter et qui considère que tout compte fait, la situation du royaume n'est pas si mal. Mes efforts vont dans mon art et dans mes prières, et c'est dans ces idéaux que j'estime que notre pays doit se tourner et non dans des crises politiques inutiles.

    L'artisan verrier avait parlé lentement, mettant des mots sur des idées qu'il n'exprimait que peu. L'exercice était difficile et souffrait du résumé, mais Livaro réussit à habiller ses propos d'une certaine assurance.
    Il voulait surtout mettre cela de manière claire sur la table, avant d'aborder ce qu'il devait intéresser surtout le ministre : la situation actuelle.

    - Mais les voix sur la rive droite, elles, sont bien différentes depuis les évènements tragiques d'il y a quatre mois.


    Adelmiro Ybaria
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    Dim 5 Fév - 2:39

    La foi et la peur
    Livaro prit son sésame avec un air si sombre qu’Adelmiro, un instant, eut peur de l’avoir vexé. Le verrier se dirigea vers son atelier sans lui adresser un mot ni un regard. Un soupir de regrets, dirigé contre son propre manque de tact, était déjà en train de monter de ses poumons quand l’invitation du vieil homme vint le rassurer. Un très léger sourire fit frémir ses lèvres. Réussir à se faire inviter dans une demeure de la rive droite, à ses yeux, c’était déjà une petite victoire : dire que quelques semaines plus tôt, on l’avait chassé de la capitale et poursuivi jusqu’à ses anciens employés !

    Avant de suivre son hôte, Adelmiro indiqua d’un regard à Tibur de rester à l’extérieur. Non pas tant pour lui laisser son intimité, ou même pour le protéger, que pour indiquer sa présence. Sa stature, son habillement et son aura détonnaient au milieu de cette rue, mais c’était aussi le but. Il allait s’appuyer contre le mur à côté de la porte, faire mine de totalement se désintéresser de son environnement (il ne fallait pas que les passants se sentent menacés ou surveillés) et servir d’enseigne : « Quelqu’un d’importance est là ! ». Nul doute que quelques commères du quartier chercheraient à savoir de qui il s’agissait. Si ce n’était pas déjà le cas, d’ici quelques heures au plus tôt, toute la rive droite serait au courant de la visite d’Adelmiro. Dans un sens, c’était risqué : on pourrait le prendre pour cible (quoi que Tibur devrait faire preuve de présence dissuasive). Soit ça, soit les habitants apprécieraient de le voir leur prêter attention. Quitte ou double. Adelmiro n’aimait pas les paris à l’aveugle mais il lui semblait que cette fois, les chances étaient plutôt de son côté. Du moins, il l’espérait.

    À l’intérieur, il se détendit et entrouvrit un peu sa cape. Il était loin de son confort habituel mais la température était plutôt agréable, les coussins que Sigerre dénicha étaient à peu près propres et le verrier semblait déjà s’activer pour préparer un thé. Que demander de plus, le temps d’une entrevue ? D’autant que la discussion promettait d’être intéressante.

    Tout à coup, alors que le ministre cherchait à lancer la conversation, un éclat de voix fut lancé contre le tapage d’une dispute à l’étage. Il était si clair et distinct qu’Adelmiro crut un instant qu’il provenait de la pièce elle-même, et il se retourna, surpris de ne pas avoir remarqué cet autre présence. Il lui fallut une seconde pour réaliser sa méprise. Tandis qu’il reprenait sa position, son regard se posa sur le maître verrier, qui grommela en détournant les yeux. Adelmiro ne fit aucun commentaire, ne souhaitant pas embarrasser son hôte plus qu’il ne l’était déjà.

    Ses explications furent un peu laborieuses, hachées, et pourtant fermes : les idées avaient du mal à se changer en mots mais étaient claires. Aldemiro les écouta avec patience et une grande attention.  Quand Sigerre mentionna la rive droite, son interlocuteur leva la main, paume vers lui, pour l’interrompre après seulement une phrase.

    - Les avis de vos concitoyens m’intéressent, bien sûr, se justifia-t-il, mais j’aimerais déjà que nous parlions de vous. Que répondriez-vous à ceux qui se révoltent, non pas parce qu’il se plaignent du présent mais parce qu’ils ont peur du futur ? Ceux qui disent que certes, l’empire ne nous malmène plus guère ces derniers temps mais qui craignent qu’un jour, ils décident de raffermir leur emprise sur nous ? Je connais…

    Il se tut soudain, se mordant légèrement la lèvre inférieure. Il porta sa main droite à la petite bourse de sel qu’il portait à sa ceinture et eut une pensée pour Silbio et sa femme, avant de se corriger :

    - J’ai connu un homme qui voyait les choses ainsi. Avant que nous ne nous quittions, il m’a expliqué que depuis l’arrivée d’Aeron sur le trône et la résolution de la Guerre sans Fin, il avait peur pour l’avenir. Nous avons beau essayer de ne tourner nos pensées vers le spirituel et le divin, nous ne pouvons totalement repousser les considérations bêtement terrestres et matérielles, et certaines finissent même pas prendre le pas sur tout le reste. N’avez-vous jamais ressenti ce genre de peur, tellement profonde, tellement ancrée en vous qu’elle perturbe vos prières et vous détournent de votre art ? Et ne comprenez-vous pas que certaines Naidiens puissent la ressentir en cette période incertaine ?
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    Sam 11 Fév - 4:27

    Livaro prit son menton dans sa main, l'air pensif. Il n'était définitivement pas son sujet de conversation préféré, son art et ses oeuvres, ça oui, mais lui-même ?
    Qu'importe, il n'avait pas invité le ministre pour lui refuser ses questions.

    - Mmm... Tout le monde craint quelque chose, chacun a sa vision de l'avenir et des dangers qui nous attendent au tournant. Je n'y fais pas exception et je peux totalement le comprendre, je l'ai déjà vécu.
    J'ai 63 ans cette année.
    Sur les champs de bataille contre les furies des Qiangs, j'ai eu peur pour ma vie, au point d'en être paralysé, tremblant comme un enfant.
    Lorsque mon fils est né, j'ai eu peur qu'il connaissse les mêmes épreuves et j'ai souhaité le protéger de ce monde là.
    Et maintenant, ma plus grande peur, c'est cela...


    Livaro souleva sa main comme son interlocuteur l'avait fait, innocemment, lorsqu'il avait souhaité prendre la parole. Un geste anodin, banal, simple. Mais la main du vieux maître ne pouvait rester immobile et ferme bien longtemps, tremblant subtilement face au froid et à la faiblesse de l'âge.
    L'artisan referma son poing, comme pour reprendre possession de son corps qui lui échappait. Il continua à s'occuper du thé tout en reprenant la parole.

    - Alors la possibilité d'une pression plus forte d'Ivria, les troubles dans la ville, ma situation matérielle actuelle, tout ça... désolé, mais j'ai déjà connu bien pire, le royaume a déjà connu bien pire, et pourtant nous avons tous survécu. Je suis inquiet, peut-être. J'ai peur à ce sujet ? Non, j'en suis bien loin.
    Mais que d'autres le soient, que les jeunes s'émeuvent pour un rien, que les familles craignent pour leurs proches, bien sûr que je peux le comprendre. Je l'ai vécu moi-même
    , répéta-t-il en conlusion.

    Il était temps de servir le thé, coupure appréciée dans l'argumentaire.

    - Concernant parmi ceux-là, ceux qui se révoltent parce qu'ils ont peur de l'avenir... Je considère que leurs craintes sont réelles : la conclusion de la Guerre Sans Fin nous fait entrer dans une période nouvelle et inconnue. Aussi étrange que cela puisse paraître, l'habitude de la guerre était en comparaison rassurante. Je suis tout à fait du même avis.
    Mais c'est justement pour cela que j'ai approuvé le message de la reine lorsqu'elle a tenté de renforcer nos liens avec l'Empire. La puissance militaire des Ivrians est sans équivalent, et il est prudent de ne pas exciter une telle force maintenant qu'Aeron n'a plus d'ennemis désignés.

    Je leur répondrai donc ceci : à se révolter, à se rebeller pour une indépendance révée, ils sont en train de transformer une simple probabilité de conflit en un affrontement certain.
    Dans sa situation actuelle, notre royaume n'y survivra jamais.


    Livaro avait l'impression de répondre non pas à des révoltés mais au ministre lui-même. La personne du "révolté", dans la bouche d'Adelmiro, semblait bien loin de celui de l'imaginaire de Sigerre. Ici, cette discussion restait cantonnée à la raison et à la modération et surtout, à la théorie.


    Adelmiro Ybaria
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    Ven 24 Fév - 12:47

    Avancer
    Adelmiro écouta les explications de Livaro avec une attention sincère. Il n’avait pas connu cette époque où les jeunes hommes étaient tirés de chez eux par la force et envoyés face à l’horreur et à la mort. Il pouvait cependant parfaitement comprendre que ce genre d’expérience changeait radicalement la vision du monde.

    Quand son interlocuteur s’apprêta à annoncer sa « plus grande peur », il s’attendit à ce qu’il lui parle du retour de la guerre, et qu’elle touche le royaume, aussi ne comprit-il pas immédiatement pourquoi le vieil homme se contenta de lui montrer la paume de sa main. Puis il vit les tremblements, et il comprit : il avait déjà vu sa grand-mère tenter de contrer les ravages du temps. Même si, dans son cas à elle, ce refus de vieillir concernait surtout la perte de sa beauté. Le maître verrier devait plutôt craindre de ne plus pouvoir exercer son art. Adelmiro aurait aimé lui demander pourquoi il semblait ne pas avoir pris d’apprenti, une façon de faire perdurer sa patte et de survivre au-delà de la mort, mais il jugea que ce n’était pas le moment.

    Comme gêné d’avoir laissé transparaître cette faiblesse, Sigerre se tourna de nouveau vers le thé qui finissait d’infuser. Il réaffirma son absence de craintes concernant l’avenir, puis servit le breuvage. Adelmiro murmura un remerciement en prenant sa tasse et l’enveloppa de ses mains. Le contact de la vaisselle chaude contre ses paumes lui fit presque pousser un soupir de soulagement. L’odeur qui s’échappait n’était pas tout à fait aussi enivrante que celle du breuvage dégusté dans le bureau de l’intendante Maänadil, qui était devenu une sorte de référence inégalable, mais il ne s’y attendait pas et il n’en tiendrait pas rigueur à son hôte.

    La fin des explications de Sigerre étaient tout à fait censées. Le ministre les approuva d’un signe de tête.

    - Bien sûr, l’Empire peut nous écraser, s’il le désire, approuva-t-il. La plupart des rebelles s’en rendent compte. Du moins, je le suppose… corrigea-t-il pensivement après une seconde de réflexion.

    Il s'était déjà rendu compte qu'il ne pouvait pas parler au nom des rebelles, même s'il avait tendance à l'oublier. Il y avait cependant une chose dont il voulait être sûr, puisqu’il y avait souvent pensé depuis le conseil des ministres exceptionnel :

    - Quoi qu’il en soit, dit-il un peu sèchement, la grande question est : l’Empire voudra-t-il nous soumettre par la force ? Ne préférera-t-il pas nous voir sombrer dans le chaos et attendre de voir qui ressort vainqueur de cette querelle ? Si le gouvernement se décide enfin à reprendre la situation en main, il sera forcément affaibli par le manque de soutien populaire et donc plus malléable. Et si jamais les rebelles réussissent à prendre le dessus, il sera toujours temps d’envoyer quelques colonnes.

    Il savait que même s’il la répétait une énième fois, cette affirmation était autant un vœu pieu qu’une réflexion politique mais avait décidé de l’ignorer. Il pensait qu’il aurait toujours le temps de sortir la tête du sable dans laquelle il l’avait volontairement cachée si jamais l’Empire montrait des velléités d’intervention.

    Il but une première, longue gorgée. Le thé était agréablement chaud et il profita de cette pause pour reprendre un peu ses esprits. Il sentait un certain énervement monter en lui. Une fois passée sa surprise de voir Livaro Sigerre adopter la position opposée à ce qu’il attendait de lui, il avait aimé discuter et débattre avec lui mais il n’arrivait pas à voir où menait cette conversation et ça le dérangeait. Il était évident qu’aucun des engagés ne cèderait de terrain et même si les paroles du vieil homme étaient pertinentes et réservaient quelques étonnements, il ne pourrait pas continuer ainsi indéfiniment. Il était venu pour tenter de faire avancer les choses, et il refusait de partir au même point.

    Adelmiro prit une seconde gorgée avant de reprendre, avec un calme forcé :

    - Je veux encore croire que nous n’en arriverons pas là et que nous réussirons à sortir de cette crise par la diplomatie, unis et plus puissants que jamais. Mais les rebelles doivent nous présenter des interlocuteurs, ce qu’ils ne semblent ni comprendre ni disposés à faire. S’ils ne peuvent s’en trouver, il faut les y aider, mais pour cela, il faut avoir un pied parmi eux.

    Il s’interrompit là. Levant une nouvelle fois la tasse à ses lèvres, il lança à son interlocuteur un regard appuyé.
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    Dim 5 Mar - 7:10

    Les suppositions et les questions d'Adelmiro provoquèrent hochements de tête et murmures approbateurs de la part de Sigerre. Des paroles sensées que les deux hommes méditèrent chacun devant leur tasse.
    Le vieil artisan s'étonnait de partager la même analyse de la situation tout en en tirant des conséquences diamétralement opposées par rapport au jeune ministre. Etait-ce dû au monde politique, aux idéaux, ou à la fougue de la jeunesse ?

    Ce qui était clair en tout cas, c'était que le sire Ybaria était venu avec un objectif en tête et une envie de changer les choses. Son bouillonnement intérieur et sa détermination réchauffaient plus le coeur du vieil homme que la tasse de thé qu'il tenait entre les mains.
    Livaro était calme et reposé. Lui, à l'inverse, avait déjà obtenu le laisser-passer qu'il désirait.
    Face à la demande du ministre, il secoua simplement négativement la tête et reprit la parole en posant sa tasse.

    - Vos idées sont bien différentes du visage que laisse paraître le gouvernement, j'espère donc que vous ne faîtes pas la même erreur que celui-ci : tous les citoyens de la rive droite ne sont pas des rebelles, monsieur le ministre. Ce n'est pas parce que je vis ici que je peux dire avoir un "pied parmi eux".

    Livaro souhaitait que les choses soient claires, mais il reprit bien vite sa réponse pour l'atténuer.

    - Néanmoins, je peux laisser courir le bruit que des membres du gouvernement cherchent une issue pacifique au conflit et sont prêts à des... entrevues informelles ? Ou quelque chose dans l'idée. Cela peut sembler plus tentant que des négociations officielles vu l'état de tension du moment. Le vieil homme lançait ces idées en haussant les épaules. S'il n'avait rien à perdre dans l'histoire, Sigerre ne voyait pas trop en quoi sa propre personne était si indispensable pour une telle tâche.

    Livaro chercha son interlocuteur du regard, espérant avoir répondu - d'une certaine manière - favorablement à sa demande.
    Jusqu'à il y a quelques minutes, Livaro n'avait aucune idée qu'il existait un ministre avec de telles idées. Le peuple et ses élites étaient déconnectés depuis bien longtemps, et la géographie actuelle de Tahele n'était qu'un symbole à peine déguisé de ce vieux problème. Il avait beau cherché dans les yeux d'Adelmiro, il ne savait aucunement ce que le ministre souhaitait amener dans ces négociations.

    - Je suis par contre assez sceptique quant au succès d'une telle diplomatie. Tout comme je n'ai aucune idée de ce que pense et veut le gouvernement et notre reine, je crois que vous ne cernez pas bien la protestation du peuple.
    Peut-être que je me trompe, or selon ce que j'entends, l'indépendance a été l'argument déclencheur mais les rebelles n'ont pas pris les armes contre Ivria. Ils ont pris les armes contre vous, monsieur le ministre. Peut-être qu'à terme, ces gens souhaitent se séparer de l'Empire, mais d'abord, il souhaitent surtout se séparer de leurs dirigeants.
    Croyez-vous vraiment que les manifestations quotidiennes sur le pont soient dirigées contre Ivria ? Les rebelles se réclament du peuple et affrontent leurs propres élites. La preuve en est ce découpage : le peuple de la rive droite s'oppose à l'aristocratie occupant la rive gauche.

    L'indépendance, c'est le pouvoir de décider par soi-même de son propre destin, non ? Les rebelles Naidien désirent l'indépendance et sont issus du peuple, pensez-vous vraiment que cela soit compatible avec le maintien du gouvernement actuel, d'un système qui depuis toujours est dans les mains de grandes familles ?

    Comme je l'ai dit, peut-être que je me trompe. Et dans tous les cas, ma vision est centrée sur Talehe.
    Toutefois je peux vous assurez d'une chose. Bien qu'étant une ville sur le continent, jamais depuis bien des générations l'empire ne nous a envahi ou occupé, l'on pouvait parler de pression mais jamais d'oppression. Or aujourd'hui, les citoyens de Tahele sont privés de la moitié de leur ville par l'arrivée d'une aristocratie venue de Taytambo. Si les rebelles agissent, ils n'essaieront pas de prendre des avants-postes d'Ivria ou des bâtiments de l'Empire, ils s'en prendront à toutes les élites sans distinction.
    Ici sur la rive droite, c'est l'opinion et le ressentiement général.

    Si l'aristocratie se révoltait elle aussi, ce serait une autre histoire et je comprendrais que le royaume puisse en ressortir plus fort et plus uni - face à un ennemi, que je ne partage pas, certes.
    Mais actuellement, je ne vois pas les rebelles demander moins qu'un changement de pouvoir. Êtes-vous prêt à négocier cela ?


    Il était difficile à dire si le vieil homme avait une vision réelle ou tronquée des troubles du royaume. Le fait qu'il soit lui-même citoyen de Talehe et ait vécu la déplacement de la rive gauche à la rive droite brouillait peut-être une situation plus complexe.


    Adelmiro Ybaria
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    Vers la fin du débat
    À peine les mots avaient-ils passé ses lèvres qu’Adelmiro se demanda ce qui l’avait poussé à les prononcer : la lassitude ou le calcul ? Plutôt la première option, dut-il reconnaître à contrecœur. La réponse de maître Sigerre ne fut pas des plus enthousiastes mais elle n’était pas en-dessous de ce qu’il pouvait attendre en cette situation. Et surtout, elle était loin d’être stupide. Quand on cherche un poisson en particulier, il vaut mieux lancer un filet qu’un harpon : répandre la rumeur et voir qui mordrait serait sans doute plus simple que tâtonner à la recherche de quelqu’un avec la stature pour prendre les choses en main.

    Adelmiro ne se précipita cependant pas pour répondre à l’artisan. Il aurait pu lui faire remarquer qu’il n’était certes pas un rebelle mais qu’il en était plus proche que lui-même ; que sa position était relativement neutre au final, puisqu’il ne soutenait ni l’aristocratie ni les insurgés, et que cela faisait de lui un intermédiaire parfait. Ce n’était sans doute pas encore le moment d’insister.

    Le maître verrier, pourtant, ne paraissait pas repoussé par cette idée. Si ses paroles manquaient d’engouement, son ton était comme suspendu, et non franchement hostile. L’air avec lequel il se tourna vers lui, interrogatif, confirmait ce manque d’assurance. Adelmiro lui accorda un signe de tête, mais d’encouragement plutôt que d’approbation tranchée. Ça aurait risqué de mettre fin à la conversation.

    Il ne regretta pas d’avoir laissé son hôte continuer : ce qu’il dit était très intéressant. Adelmiro n’avait jamais considéré les choses sous cet angle. Pour lui, l’aristocratie ne voyait aucunement le petit peuple comme un ennemi – du moins, avant cette révolte – et donc il aurait été tout à fait illogique que la colère des rebelles s’arrête à leurs concitoyens aisés. Mais la main de l’Empire avait été si légère, comme le ministre l’avait lui-même reconnu, que les insurgés avaient effectivement pu confondre les intermédiaires et les investigateurs.

    Qu’ils soient les victimes de leur colère, c’était plus qu’évident, mais s’ils étaient leur véritable but et non des boucs-émissaires, cela changerait les choses. Et surtout, cela les compliquerait. Il ne lui suffirait pas de prendre ses distances avec le gouverneur pour mettre ses opposants en confiance, et il ne pouvait pas renier ses hautes origines.

    Il écouta la fin de l’exposé de son interlocuteur d’une oreille un peu distraite. Il voulait entendre ce qu’il avait à dire mais son esprit avait démarré au quart de tour et réfléchissait frénétiquement à la plausibilité de cette hypothèse. Mais plus il y pensait, plus…

    - Un changement de pouvoir ? répéta-t-il quand il réalisa que Sigerre avait fini. Changer pour quoi ? Avez-vous la moindre idée de ce qu’ils veulent, et croyez-vous vraiment qu’eux-mêmes en ont une idée précise ?

    « Voici la vision que j’ai, moi, de cette révolte : les rebelles ont pris les armes car ils ont été envahis par leur colère. Un colère sans doute légitime, je ne le nie pas. Mais une colère vague, mal formulée. Ils s’en sont pris aux aristocrates et au palais car nous sommes ceux qui ont libéré cette colère mais en sommes-nous véritablement à l’origine ? J'ai du mal à le croire.

    « C’est difficile à dire, cependant, tant qu’aucune revendication ne nous parvient. Cela fait plusieurs semaines à présent que la colère a éclaté. Après leur rage première évacuée grâce aux pillages et aux meurtres, ils auraient dû réussir à se réunir pour mettre à plat les raisons de leur action et nous présenter leurs revendications. Or, d’après ce que je sais, la situation est toujours aussi chaotique. J’en viens à douter qu’ils sachent eux-mêmes ce qu’ils veulent, au fond.

    Il laissa de côté la question de Talehe : l’affaire était totalement différente, d’après lui. À sa connaissance, les déclarations de la reine n'avaient pas provoqué là le même tollé qu'à la capitale. C'était évidemment la présence de la noblesse et surtout l'évacuation de la rive gauche qui étaient contestées, rien à voir avec la rébellion à Taytambo. Il ne voulait pas compliquer les choses.

    - Quoi qu’il en soit, raison de plus pour organiser une rencontre, continua-t-il. Que nous sachions exactement ce qu’ils réclament et comment sortir de cette affaire. Cela peut vous sembler naïf, mais je suis persuadé que cela peut marcher. En tout cas, je ne vois pas d’autre issue possible.

    Il termina sa phrase avec une légère pointe de tristesse dans la voix. Il avait l’impression que tout avait été dit. En tout cas, il ne voyait pas, dans les paroles de Sigerre, de faille dans laquelle s’engouffrer pour ébranler ses convictions. Peut-être valait-il mieux s’arrêter là, laisser décanter tous les arguments qui avaient été lancés. Il était sûr de lui : ses intentions étaient la seule sortie de crise raisonnable, toute personne sensée devrait pouvoir le voir – à condition de ne pas se laisser aveugler par ses sentiments et ses convictions personnelles.

    Il finit son thé, posa la tasse à côté de lui et se leva.

    - Je ne peux bien sûr pas vous forcer à quoi que ce soit. Vous avez votre laissez-passer, je n’ai aucun moyen de pression sur vous. Mais si vous acceptiez ne serait-ce que de répandre la rumeur, je vous assure que je ne serais pas le seul à y gagner. Au pire, qu’est-ce que cela vous coûte ?

    Un argument facile, qu'il n'aimait pas, mais les meilleurs avaient déjà été utilisés.
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    Anonymous
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    Jeu 20 Avr - 0:54

    Les questions d'Adelmiro rencontrèrent un sourire partagé de la part du vieil homme. Livaro n'avait bien entendu aucune idée des revendications des rebelles - il était même de l'opinion que les rebelles eux-mêmes n'avaient pas, encore ?, de réelles revendications.
    Ils échangeaient des points de vue, tandis que les réels révoltés conservaient leurs mystères pour le moment.

    L'entrevue comptait toutefois pour beaucoup. En plus d'avoir convaincu Livaro d'agir pour faire bouger les choses à son maigre niveau, le ministre lui avait surtout fait ouvrir les yeux sur le gouffre qui séparait les deux rives.
    Comment les gens du peuple de Talehe pouvaient-ils savoir que leurs élites les considéraient, au point d'aller à leur rencontre et tenter de comprendre leur point de vue ? Adelmiro restait sûrement une exception, mais le fait que cette exception existe était un début encourageant.

    - Vous n'avez pas besoin d'en dire plus, vous m'avez déjà convaincu, confirma Livaro en se levant à son tour. Il est bon de savoir que des hommes tels que vous prennent à coeur de s'occuper de cette situation, et si mon assistance peut vous aider à trouver cette issue possible, il est de mon devoir de citoyen Naidien de vous la procurer.

    Le devoir, dans la bouche du maître Sigerre, tenait bien plus de l'honneur que de la contrainte.
    De bien des manières, le vieil artisan admirait l'ambition et l'action du jeune homme. Il n'acceptait pas la situation actuelle et oeuvrait à son changement. Il était un homme travaillant sa société, tout comme lui travaillait et modelait sa pâte.

    L'artisan du verre avait trouvé face à lui un artisan de la politique. Et il était prêt à aider son homologue à parfaire son oeuvre. Le vieux Livaro sourit en constatant que lors de cette matinée, il pensait récupérer la chose la plus importante pour lui, son laisser-passer. Il l'avait eu, mais il avait eu bien plus : il avait rencontré un grand homme.
    Non, un homme qui grandissait. Adelmiro était encore quelqu'un en devenir, plein de promesses, des promesses heureuses.

    Livaro tendit une main qu'il espéra peu tremblante, pour partir sur un échange concluant à la fois en paroles mais aussi en actes.


    Adelmiro Ybaria
    Adelmiro Ybaria
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    Ven 28 Avr - 13:14

    Un grand pas en avant
    Adelmiro était tellement peu satisfait de son argument, tellement certain qu’il ne pouvait servir qu’à faire basculer ceux qui étaient déjà sur le point de changer de bord – ce qui ne semblait pas être le cas de maître Sigerre, fermement attaché à sa position – qu’il ne comprit pas immédiatement la réponse du vieux verrier. Mais quand il saisit que sa requête était acceptée, et encore plus quand il entendit ce compliment, il ne put dissimuler sa fierté. « Des hommes tels que vous » : Sigerre lui-même faisait de lui un modèle, lui qui avait été une source d’inspiration lors de sa propre adolescence. Droit, avec le sourire à la fois heureux et gêné d’un jeune homme que son père féliciterait, Adelmiro serra la main de l’artisan. Il dut réfréner son enthousiasme pour ne pas exercer une prise trop forte sur la main osseuse du vieillard.

    - Je suis soulagé et ravi que nous réussissions à nous entendre, affirma-t-il, la gorge un peu serrée.

    Il dut se rappeler que tout n’était pas encore gagné : non seulement Livaro Sigerre n’était pas réellement de son côté, il avait seulement accepté de lui prêter son concours, mais de plus, rien ne pouvait lui promettre que leurs actions porteraient leurs fruits. Il lui faudrait encore attendre plusieurs jours, et même vraisemblablement plusieurs semaines, avant que quelqu’un ne se manifeste, et même à ce moment-là, tout resterait à faire.

    Pourtant, il attendait déjà ce moment avec une impatience difficilement répressible ; car il serait l’affirmation sans appel sa prise de distance avec la position officielle du gouvernement, le point de non-retour. Jusqu’à présent, il avait joué à l’enfant capricieux qui prend un malin plaisir à contredire ses parents, mais ce petit jeu avait vite perdu le délicieux goût de scandale de la première fois. Parler de sédition distrait quelques temps, puis il faut aller un peu plus loin, et encore un peu plus, jusqu’à devoir se poser la terrible question : veut-on vraiment franchir la ligne rouge ? aller jusque là où le plaisir de la provocation serait sans doute rongé par le danger encouru ? Adelmiro savait déjà que oui, il le voulait. Il imaginait la satisfaction qu’il ressentirait en renvoyant ses « estimés collègues » face à leurs responsabilités, se sentait de taille à faire face à toutes les conséquences et surtout, imaginati l’exploit que cela représenterait, que de mettre fin, à lui seul, à la plus grave crise que le royaume ait connu depuis des siècles.

    Les yeux brillant autant de contentement que de rêves de gloire, il posa sa main droite sur sa poitrine et s’inclina légèrement pour prendre congé de son interlocuteur.

    - Puisse cette journée vous être douce, ainsi que bien d’autres, et qu’elles nous permettent de donner le meilleur de nous-mêmes.

    Il étouffa le petit rire qui lui venait en repensant à la dernière fois qu’il avait entendu cette vieille formule. Et dire qu’il avait fallu ces catastrophes et ce déménagement à Talehe pour rencontrer des personnes telles que la dame Maänadil et maître Sigerre… Plus les évènements avançaient, plus il était convaincu qu’ils étaient advenus pour lui : pour qu’il réalise son destin.
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