Callisto se mit à parler et Mei reprit machinalement sa sculpture en écoutant, la poignée étant maintenant une patte griffue et épaisse dont les écailles ne pourraient qu’aider à assurer la prise en main de la béquille. Ce travail manuel la détendait.

       — Je suis désolé que vous soyez coincée avec moi, dit-il doucement. Je doute d'être le compagnon idéal lorsqu'il s'agit de crapahuter efficacement dans un environnement hostile. Cependant, sachez que toute ma reconnaissance vous est acquise et que j'ai envers vous une immense dette que je n'aurais de cesse de vous rembourser, d'une manière ou d'une autre, bien que je sois certain que vous ne m'ayez pas sauvé dans le but d'obtenir quelque chose en échange.

       Elle n’avait rien à répondre à cette remarque, en réalité son action étaient motivée par le fait qu’on n’abandonne pas quelqu’un à un sort funeste, les esprits le déconseillant formellement, et leur vengeance ne tardant pas à arriver d’une manière ou une autre si l’on n’en tenait pas compte. Elle se concentra sur son ouvrage, sculptant maintenant la tête de la créature, une tête de dragon gueule ouverte, laissant entrevoir des dents effilées. Au-dessus de la tête, sur laquelle reposerait une partie de l’avant-bras qui rendait ce bout de bois plus confortable en tant que béquille, restait une partie non taillée que Mei réservait à la deuxième patte avant de la créature mythique. Elle s’occupait de tailler les dents, ayant fait le bas de la tête et la mâchoire, quand Callisto reprit la parole.

       — Pour ma part, je dois m'avouer immensément chanceux d'avoir croisé votre chemin. Votre peuple est renommé pour son honneur, ce qui n'est pas vraiment le cas de l'Empire. Si, à votre place, un Ivrian m'avait découvert, je n'ai aucun doute quant au fait qu'il se serait assuré que la plante obtienne bien son déjeuner, et il en aurait profité pour me délester des rares objets de valeur que je possède. S'il y avait plus de Qiang dans ce monde, les choses iraient probablement bien mieux...

       Elle se concentra sur la dernière dent de la gueule qu’elle était en train de tailler avant de relever la tête pour répondre.

       — Quelle idée aussi, d’avoir des hommes au commandes. Ils ne sont pas faits pour diriger.

       Elle se repencha sur sa sculpture après cette courte réponse, taillant maintenant le haut de la tête. Sa créature sculptée pouvait paraitre un peu grossière, mais il était inutile de faire des détails sur un objet sans cesse manipulé, ils se casseraient. Les traits de la créature étaient parfaitement reconnaissable tels qu’elle les faisait. Elle resta sur son ouvrage et attaquait la base de la deuxième patte avant quand son compagnon de voyage reprit la parole.

       — Y a-t-il des esprits dans la forêt ?

       Mei avait totalement stoppé tout mouvement et ses yeux s’étaient instantanément relevés vers l’étranger à cette question. Pendant de très longues secondes, on entendait plus que le craquement du feu et la jeune femme restait totalement immobile. Elle était surprise par la question, n’était pas particulièrement disposée à aborder le sujet à un étranger et réfléchissait donc à la réponse qu’elle allait lui donner. Après une vingtaine de secondes qui pouvaient sembler éternelles, elle le quitta des yeux pour finir de couper le bout de bois qu’elle avait déjà entamé, formant ainsi le quatrième côté d’une écaille. Elle abaissa ensuite son couteau et le regarda avant de répondre.

       — Bien sûr, il y en a partout. Que veux-tu savoir sur les esprits ?

       La question était bien plus de la méfiance qu’une réelle envie de satisfaire sa curiosité, elle savait très bien que ces étrangers méprisaient les esprits et ne vénéraient qu’un seul dieu, ce qui était absurde. Ils ignoraient les avertissements des esprits de leur royaume, vivants sans se soucier des nombreuses répercussions qui rendaient leur société aussi inférieure. Autant dire qu’elle n’allait sûrement pas lui dire comment les trouver ou les ressentir. Il valait mieux que les esprits ne soient pas dérangés par ces hommes.